Les acteurs de l’enseignement supérieur doivent anticiper la baisse démographique pour ne pas la subir !

La démographie scolaire prévoit une baisse significative des effectifs dans le premier et le second degré dans les années à venir. Les conséquences à moyen terme pour les universités et leurs partenaires – au premier rang desquels, les Régions, communes et EPCI – pourraient être néfastes si elles ne sont pas anticipées.

Le premier degré connaît actuellement une baisse marquée, tandis que le second degré est en diminution progressive 

Dans le premier degré, les chiffres prédisent une baisse continue du nombre d’élèves, passant de 6,29 millions en 2024 à 6,06 millions en 2027. Cette réduction nécessitera une adaptation des organisations locales avant d’envisager de revoir la répartition des enseignants, en espérant que la volonté pressante, à court terme, de supprimer des postes, ne court-circuite pas les démarches cohérentes menées par les territoires et les équipes des services départementaux de l’Education nationale pour faire face intelligemment à ce reflux démographique. Le second degré, quant à lui, devrait voir une diminution plus progressive, avec entre 30 000 et 40 000 élèves en moins par an à partir de 2026, ce qui n’est pas négligeable mais difficile à piloter étant donné la diversification des parcours et accompagnements mis en œuvre ces dernières années au collège et au lycée. Ces chiffres impliquent des défis organisationnels majeurs, en particulier pour maintenir la qualité du service éducatif sur l’ensemble du territoire.

Enseignement supérieur : croissance ralentie et baisse à long terme

Pour l’enseignement supérieur, après une forte croissance de 670 000 étudiants entre 2011 et 2021, un ralentissement est attendu, suivi d’une baisse prévue de 4,78% d’ici 2040, qui pourrait atteindre -12,2% en 2050. On voit que cette évolution a tendance à nourrir la compétition entre établissements pour attirer les étudiants à l’échelle locale comme nationale et internationale, et récupérer les allocations de moyens plus ou plus proportionnelles aux effectifs, que ce soit par le biais de la commercialisation d’offres de formation ou la mobilisation de subventions de fonctionnement. Parcoursup nous montre déjà que des surcapacités sont ponctuellement observées sur le territoire. Ces tensions pourraient s’accentuer dans les années à venir et remettre en cause la cohésion nationale si elles se cristallisent sur certains territoires. 

Réorganiser et innover pour préserver l’accès à l’enseignement supérieur et sa qualité

La baisse des effectifs dans l’enseignement supérieur à moyen terme appelle à anticiper une réorganisation intelligente des ressources éducatives dont nous disposons collectivement. L’application aveugle de l’équation « moins d’usagers, moins de budgets », qu’elle soit opérée sur des feuilles de calcul à l’échelle nationale ou locale, risquerait de nuire à la cohésion sociale déjà fragilisée. Quand on pratique l’amputation, en médecine, comme en finance publique, c’est souvent que la prévention a été défaillante. 

Assurer la résilience des partenariats territoriaux et des dynamiques positives en cours

Le partenariat entre les universités et les territoires s’est enrichi ces dernières années avec des cadres stratégiques et budgétaires partagés. La plupart des territoires, même si des problématiques localisées existent, profitent d’une double dynamique vertueuse : d’une part le rapprochement de plus en plus intégré des acteurs majeurs de l’enseignement supérieur, au sein d’un territoire, avec des modèles comme l’EPE (établissement public expérimental), et d’autre part la déconcentration des services d’enseignement supérieur avec des investissements renouvelés dans les antennes locales ou les centres relais, qui permettent de limiter l’enclavement de certains territoires en matière d’accès à l’enseignement supérieur. L’anticipation de la baisse démographique doit permettre de préserver ces dynamiques complémentaires, l’une issue des politiques publiques nationales favorisant la création de pôles universitaires d’envergure internationale, l’autre issue des efforts des décideurs et opérateurs locaux pour répondre aux besoins de service public de proximité exprimés dans la douleur à la faveur des crises sanitaires, économiques et politiques que nous traversons.

Sauvegarder les capacités d’enseignement par l’innovation

Le nerf de la guerre pour sécuriser l’accès à l’enseignement supérieur et sa qualité – la ressource principale – reste le nombre d’heures d’enseignement effectives disponibles dans les budgets des établissements : l’innovation devrait se concentrer sur cette denrée rare et en tension, l’innovation devrait permettre de développer des effets leviers à partir de ces heures d’enseignement, l’innovation devrait permettre d’éviter leur contamination par des activités annexes, d’ordre administratif par exemple. Sans recette miracle, ni alchimie, l’innovation technologique permet d’améliorer le déploiement du service au public sur le territoire, comme l’a démontré la téléprésence appliquée à la médecine à travers un « principe approximé de téléportation » : un professionnel de santé peut exercer dans plusieurs endroits à la fois, physiquement et virtuellement grâce aux cabines de télémédecine. L’outillage numérique des agents des structures France Services n’en fait pas des personnels omniscients en matière administrative mais il permet d’accueillir, de rassurer, d’orienter et de développer l’autonomie des usagers tout en favorisant la polyvalence des équipes de terrain. Les déboires récents de certains industriels de la cabine de télémédecine (mise en liquidation judiciaire de l’entreprise H4D spécialiste dans la gestion des télécabines)  nous ont appris que les politiques publiques d’amélioration de l’accès au service public doivent être globales et embarquer parfois un volet industriel, que ces politiques doivent évoluer selon un principe universel d’essai-erreur. Quant à France Services, les retours positifs, qui sont de plus en plus nombreux ces derniers temps, s’expriment presque 15 ans après les premières expérimentations. Si on veut généraliser des dispositifs comme la télé-présence dans l’enseignement supérieur, ou l’outillage numérique permettant aux professionnels de l’enseignement de limiter l’emprise des tâches administratives sur leur temps d’enseignement, il faut anticiper. 

Se mettre en mouvement dès à présent pour anticiper les jalons de 2027 et le retournement de tendance démographique qui suit.

La période actuelle est propice pour engager des travaux d’anticipation en vue de préparer les SRESRI, CPER et autres plans à horizon 2027, dont le renouvellement du programme Horizon Europe. Il existe aujourd’hui des modèles d’organisation et de déploiement territorial du service public d’enseignement intéressants, qui allient par exemple un pôle central de services mutualisés et des antennes locales souvent spécialisés, qui ont su tirer parti des avancées stratégiques et budgétaires des dernières années. Par ailleurs, les avancées technologiques majeures auxquelles nous assistons, intelligences artificielles et environnements immersifs en pointe, sont à la porte des universités, et les expérimentations actuelles pourraient être étendues à plus grande échelle. L’anticipation de la baisse démographique ne doit pas être subie ; elle doit permettre de maintenir ces dynamiques positives et de ne pas fragiliser la cohésion territoriale dans le domaine de l’enseignement supérieur.

 

Julien Llanas

Publié le 08.11.24

Relever les défis du maintien à domicile des seniors sur les territoires
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